Retraites : le gouvernement fragilisé après le rejet de la surtaxe sur les mutuelles

La bataille autour de la suspension de la réforme des retraites de 2023 s’envenime à l’Assemblée nationale. Ce lundi 27 octobre, les députés de la commission des Affaires sociales ont massivement rejeté la surtaxe sur les mutuelles proposée par le gouvernement pour compenser le coût de cette suspension. Un revers politique pour l’exécutif, alors que le financement du projet reste dans le flou et que les tensions montent jusque dans les rangs de la majorité.
Une surtaxe à 100 millions d’euros qui passe mal
Dans son projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, le gouvernement prévoyait une hausse temporaire de la taxe sur les mutuelles à hauteur de 100 millions d’euros supplémentaires afin de contribuer au financement de la suspension de la réforme des retraites.
Cette mesure venait s’ajouter à une taxation déjà prévue d’environ un milliard d’euros sur les complémentaires santé (mutuelles, assurances, institutions de prévoyance) au titre des cotisations 2026.
L’objectif trouver des marges budgétaires rapides pour répondre à la promesse faite aux socialistes de suspendre la réforme Borne, en échange d’une non-censure du gouvernement lors du vote du budget.
🚨🇫🇷 FLASH | Les députés REJETTENT en commission la surtaxe sur les mutuelles pour financer la suspension de la réforme des retraites. pic.twitter.com/fzvVozwtHY
— Cerfia (@CerfiaFR) October 27, 2025
Mais cette proposition a immédiatement suscité une levée de boucliers politique, bien au-delà des clivages habituels. De la gauche au Rassemblement national, en passant par Les Républicains, nombreux sont les députés à avoir dénoncé une mesure « injuste » et « inefficace ».
Justine Gruet (Les Républicains) a mis en garde contre « une charge financière déraisonnable » qui, inévitablement, serait répercutée sur les assurés, alourdissant le coût des mutuelles pour les ménages.
Christophe Bentz (RN) a, lui, évoqué le risque d’une hausse du renoncement aux soins ou à la souscription d’une complémentaire santé, déjà en forte progression depuis 2022.
Une contestation transpartisane : « On taxe sans le dire »
Le rejet en commission est apparu comme une alliance de circonstance entre des partis aux orientations idéologiques pourtant opposées.
Pour la gauche, la surtaxe n’est rien d’autre qu’une manœuvre politique déguisée. « On se sert des mutuelles parce que ça évite de dire qu’on va taxer les gens », a dénoncé Yannick Monnet, député du groupe communiste et ultramarin.
Du côté des Républicains, pourtant membres du camp gouvernemental sur d’autres dossiers, la méfiance est également de mise. Thibault Bazin, rapporteur général du texte, a pointé le risque d’une « double peine » : non seulement les mutuelles prévoient déjà d’augmenter leurs tarifs en 2026 pour absorber l’inflation et la hausse des dépenses de santé, mais elles devraient en plus supporter cette nouvelle taxe.
Même au sein de la majorité présidentielle, la gêne est palpable. Certains députés reconnaissent en privé que la mesure serait politiquement explosive à quelques mois des élections européennes et socialement difficile à justifier dans un contexte d’inflation persistante.
Pour le moment, le gouvernement maintient sa ligne : la surtaxe doit être rediscutée en séance plénière, les députés repartant de la version initiale du texte. Une seconde manche s’annonce donc tendue dans l’hémicycle.
| Bloc politique | Position sur la surtaxe | Argument principal |
|---|---|---|
| La gauche (LFI, communistes) | ❌ Contre | « Taxer les mutuelles, c’est taxer les assurés » |
| Les Républicains | ❌ Contre | Risque de hausse des tarifs et de « double peine » |
| Rassemblement national | ❌ Contre | Crainte d’une explosion du renoncement aux soins |
| Majorité présidentielle | ⚖️ Divisée | Souhaite renégocier le texte en séance plénière |
Des retraités mis à contribution : la sous-indexation en question
Si la surtaxe sur les mutuelles a concentré les critiques, le reste du plan de financement suscite tout autant de débats.
Le gouvernement prévoit en effet de sous-indexer les pensions de retraite par rapport à l’inflation afin de dégager des économies. Initialement limitée à 0,4 point, cette sous-indexation pourrait atteindre 0,9 point d’écart en 2027, selon le scénario examiné.
Concrètement, cela signifie qu’un retraité dont la pension est de 1 500 euros pourrait perdre près de 150 euros par an de pouvoir d’achat à cette échéance.
| Profil | Pension mensuelle | Perte annuelle estimée (0,9 pt d’écart inflation) |
|---|---|---|
| Retraité modeste | 1 000 € | -90 €/an |
| Retraité moyen | 1 500 € | -150 €/an |
| Retraité aisé | 2 200 € | -220 €/an |
Une mesure que l’exécutif justifie par la nécessité de préserver l’équilibre des comptes sociaux, mis à mal par la suspension de la réforme.
Mais à gauche, l’idée passe mal. Hadrien Clouet (LFI) estime qu’« il n’y a aucun problème financier qui empêche d’abroger la réforme des retraites » et plaide pour une sur-cotisation des hauts revenus, qui permettrait selon lui de compenser intégralement le manque à gagner.
🔴 Taxe sur les hauts patrimoines : « Les socialistes, LFI et une partie du bloc central sont en proie à une radicalité fiscale : ils veulent taxer tout ce qui bouge », affirme Laurent Jacobelli, député RN de la Moselle.#franceinfo #canal16 pic.twitter.com/foQyeIOMwJ
— franceinfo (@franceinfo) October 28, 2025
Une proposition balayée par la majorité, qui y voit un risque de fuite des talents et des capitaux, alors que le pays tente de maintenir sa compétitivité économique.
Une équation budgétaire à haut risque pour l’exécutif
Derrière le rejet de la surtaxe se cache un enjeu politique majeur : comment financer la suspension d’une réforme déjà adoptée et dont les effets budgétaires étaient censés soulager les finances publiques à long terme ?
Selon les premières estimations de Bercy, la suspension coûterait près de 3 milliards d’euros sur deux ans, entre la perte de cotisations supplémentaires et le maintien des âges de départ actuels.
Faute de mesures compensatoires immédiates, le gouvernement cherche à répartir l’effort sur plusieurs leviers :
- taxation exceptionnelle sur les mutuelles,
- sous-indexation partielle des pensions,
- gel temporaire de certaines dépenses de santé,
- recours à des fonds de réserve pour la retraite complémentaire (Agirc-Arrco).
- Mais chaque option se heurte à des résistances sociales et politiques.
Les syndicats dénoncent une remise en cause implicite du modèle de solidarité, tandis que plusieurs parlementaires de la majorité redoutent une fracture électorale au sein de leur électorat de classes moyennes.
La suspension de la réforme, conçue à l’origine comme un geste d’apaisement envers la gauche, pourrait ainsi se transformer en casse-tête budgétaire et politique pour l’exécutif.
Et alors que les débats doivent se poursuivre jusqu’à vendredi, une chose est déjà certaine : le compromis promis sur les retraites risque de coûter bien plus cher que prévu politiquement comme financièrement.



