Héritage et dettes : la Cour de cassation refuse qu’un oubli administratif fasse perdre un droit légitime

Lorsqu’on hérite, on ne reçoit pas seulement un patrimoine : on hérite aussi, parfois, des dettes du défunt. Mais jusqu’où va la responsabilité de l’héritier ? Et qu’en est-il lorsqu’une formalité est oubliée ?
Dans une décision rendue le 22 octobre 2025, la Cour de cassation a tranché en faveur du bon sens, estimant qu’un créancier ne pouvait pas être privé de son droit au remboursement pour un simple manquement administratif. Une décision importante, qui réaffirme l’équilibre entre rigueur juridique et équité.
Une dette ancienne, mais bien réelle
Tout commence en 2014, lorsqu’une femme, Mme J, reconnaît devant notaire devoir une somme d’argent à M. M, avec promesse de remboursement avant août 2015. Le sort en décide autrement : Mme J décède quelques mois avant la date prévue, laissant derrière elle un fils adoptif, M. T, unique héritier.
Celui-ci accepte la succession « à concurrence de l’actif net », une formule juridique qui protège les héritiers : ils ne paient les dettes du défunt que dans la limite de la valeur des biens reçus. Autrement dit, si la succession est déficitaire, ils ne complètent pas avec leur propre argent.
À noter : cette option, prévue par le Code civil, est souvent utilisée lorsqu’on soupçonne que le défunt pouvait avoir des dettes importantes.
Le créancier agit dans les règles… ou presque
Souhaitant récupérer son dû, M. M déclare officiellement sa créance auprès du notaire en charge de la succession, comme la loi l’exige. Il le fait dans le délai de 15 mois prévu par l’article 792 du Code civil. À ce stade, tout est en règle.
Mais l’héritier, M. T, conteste la validité de cette déclaration : selon lui, le créancier aurait dû transmettre le titre prouvant la dette (le document notarié signé en 2014) au même moment que sa déclaration. En son absence, affirme-t-il, la créance doit être considérée comme nulle.
La cour d’appel, en 2023, suit cette interprétation stricte et estime que la créance est « éteinte ». En d’autres termes, M. M perd tout droit à remboursement, malgré sa démarche dans les délais.
La Cour de cassation rappelle la primauté du bon sens
Refusant de s’incliner, M. M porte l’affaire devant la Cour de cassation. Celle-ci rend un arrêt clair : le créancier n’a pas perdu son droit. Selon la haute juridiction, l’absence d’envoi simultané du titre ne remet pas en cause la validité de la déclaration de créance.
Les juges soulignent que le législateur n’a jamais exigé que la preuve de la dette soit transmise en même temps que la déclaration : seul le respect du délai de dépôt importe. Important : la Cour condamne ici une interprétation « trop formaliste » de la loi, rappelant qu’un excès de procédure ne doit pas annihiler un droit légitime.
| Élément de la procédure | Position de la Cour d’appel (2023) | Position de la Cour de cassation (2025) |
|---|---|---|
| Délai de déclaration respecté | Oui | Oui |
| Titre transmis avec la déclaration | Non | Non (mais sans incidence juridique) |
| Validité de la créance | Rejetée | Confirmée |
| Principe défendu | Rigueur formelle | Primauté du bon sens et du droit |
Cette décision illustre la volonté de la Cour de cassation de protéger les droits des particuliers contre des interprétations excessivement rigides.
Une décision qui rassure les créanciers et clarifie la procédure successorale
En statuant ainsi, la Cour envoie un signal fort : les démarches successorales doivent rester accessibles et compréhensibles, même pour des particuliers non initiés au droit. L’objectif n’est pas de piéger ceux qui cherchent à faire valoir un droit, mais de garantir une procédure équilibrée.
Cette affaire rappelle aussi les précautions à prendre lors d’une succession :
- Déclarer toute créance dans le délai légal de 15 mois ;
- Conserver tous les documents prouvant la dette (contrat, reconnaissance de dette, acte notarié, etc.) ;
- Suivre l’évolution de la procédure notariale pour éviter tout litige ;
- Consulter un notaire ou un avocat en cas de succession à concurrence de l’actif net.
Attention : même si cette décision allège le formalisme, elle ne dispense pas les créanciers de prouver leur créance. L’absence de justificatif final pourrait, dans d’autres cas, fragiliser leur demande.
Cet arrêt du 22 octobre 2025 réaffirme un principe essentiel : la justice ne doit pas être prisonnière du formalisme. En privilégiant la logique et la bonne foi sur la technicité excessive, la Cour de cassation redonne tout son sens à la procédure successorale : garantir le règlement équitable des dettes et la protection des droits de chacun.
Ainsi, dans une société où la bureaucratie décourage souvent les particuliers, cette décision rappelle qu’un oubli administratif ne doit pas priver quelqu’un de son droit à la justice. Une victoire du bon sens sur la paperasse.



